samedi 8 septembre 2018

EVALUATION DES BESOINS LIES AUX ODD: UN EXERCICE AUDACIEUX


Mansour Ndiaye est Team leader Développement Durable et Croissance Inclusive, bureau régional du PNUD à Addis Abeba. Il est venu appuyer le Bénin dans le processus d’évaluation des besoins nécessaires pour l’atteinte des cibles des ODD au Bénin à travers un atelier qui a eu lieu du 4 au 9 juin 2018. Initié par le Projet d’Appui aux Stratégies de Développement  (PASD) appuyé par le PNUD, ce travail a réuni une centaine de cadres de l’administration et des personnes ressources provenant des Directions de la Programmation et de la Prospective (DPP) des ministères, de la Cellule de Suivi des Programmes Economiques et Financiers (CSPEF), de la Direction Générale des Politiques de Développement (DGPD), de la Direction Générale de la Coordination et du Suivi des ODD (DGCS-ODD), du PNUD ainsi que des personnes ressources.
M. Ndiaye dans l’entretien ci-dessous nous parle des enjeux, de l’intérêt, des contraintes et des méthodes du costing des ODD.

Monsieur Ndiaye, quels sont les enjeux du costing des ODD ?
 Permettez-moi de vous expliquer d’entrée de jeu, ce que c’est que le costing ou le chiffrage en français. Dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), ce travail se faisait de manière systématique, parce que les OMD étaient un programme social uniquement pour les pays en développement. Les pays développés s’étaient juste engagés pour financer les OMD 1 à 7 à travers l’OMD 8 sur le partenariat. C’est la raison pour laquelle, on faisait cet exercice de chiffrage puisque ça relevait d’un engagement des pays développés. Les pays en développement avaient simplement la responsabilité de mettre en œuvre les OMD avec l’appui et le financement des pays développés.  Donc c’était très clair.
 Avec le nouveau paradigme que constituent les Objectifs de Développement Durable (ODD), la question est moins évidente puisqu’il n’y a plus d’engagement des pays développés à les financer. Ceci pour différentes raisons. D’abord parce qu’il s’agit d’un agenda universel qui ne concerne pas uniquement les pays sous-développés mais l’ensemble des pays membres des Nations Unies. Car, les questions de pauvreté, d’inégalité et d’exclusion se retrouvent dans tous les pays. Et par définition, les éléments de développement durable sont de nature universelle. La deuxième raison est que, s’agissant spécifiquement du financement du développement, l’agenda d’action d’Addis Abeba issue de la conférence sur le financement du développement de juillet 2015, a clairement montré que ce financement ne peut plus relever de l’aide au développement étant donné que les sommes en jeu sont beaucoup plus importantes que celles que l’aide au développement peut couvrir.

De manière spécifique pour l’Afrique, les estimations les plus faibles concernant le coût annuel des ODD est de l’ordre de 600 milliards de dollars. Certaines estimations vont jusqu’à 3000 milliards de dollars par an. Or, les ressources traditionnelles dont disposent les pays africains à savoir, 50 milliards de dollars pour l’aide publique au développement, idem pour les investissements directs privés ainsi que pour les flux financiers illicites qu’on tente de recouvrer, dépassent à peine les 200 milliards de dollars contre un coût minimal de 600 milliards de dollars. Voilà pourquoi l’aide publique au développement ne peut être qu’un élément catalytique, c’est-à-dire qu’elle ne viendrait que pour aider à démarrer des actions. De ce fait, les efforts doivent surtout être orientés vers la mobilisation des ressources internes, des financements innovants, etc.
 Quel intérêt pour le costing des ODD ?
 On fait le costing d’abord, parce qu’il y a nécessité de réaliser les ODD. Mais comme on ne peut pas couvrir tous les besoins liés aux ODD, il est bon de savoir combien vont coûter les mesures les plus prioritaires. Une fois qu’on connait ces coûts, l’action suivante reviendra à rechercher la proportion que les ressources financières internes permettront de couvrir. Ainsi, le gap pourra être couvert en partie par l’aide publique au développement, les fonds verticaux, etc. Donc le costing est un outil d’aide à la décision pour les gouvernements, pour leur donner une idée très réaliste de leurs ambitions en matière de mise en œuvre des actions pour atteindre les ODD tout en les mettant en rapport avec les possibilités de financement. Cela permet d’avoir une planification du développement, qui ne relève pas du rêve, mais qui soit plus en rapport avec les ressources effectivement disponibles pour pouvoir financer cet agenda.

Quelle est la particularité de la démarche adoptée par le Bénin ?
 La particularité de l’approche relève du costing lui-même. La raison est que, passer des OMD aux ODD revient à passer d’une approche qui était sectorielle à une approche intersectorielle, où chaque objectif à un impact sur l’autre. Lorsque vous voulez faire l’estimation d’une mesure sectorielle, c’est relativement simple. Mais lorsqu’il s’agit d’une mesure, qui a des impacts sur les autres et qui elle-même reçoit les impacts des autres, cette combinaison ou cette complexité fait que l’exercice de chiffrage devient excessivement difficile. L’originalité, c’est que le Bénin a eu l’audace de s’engager dans ce processus.
La démarche utilisée ici est une démarche tout à fait nouvelle et amène justement les acteurs qui travaillent sur cet exercice à sortir un peu de leurs zones de confort. Ils sont habitués à travailler en silo dans leur propre secteur et là, ils se rendent compte que les interventions ont des répercussions sur d’autres secteurs. Donc, ils doivent parler non seulement entre institutions mais aussi, entre ministères et entre acteurs. C’est cette complexité qui est originale. Trouver une démarche qui permet de pouvoir saisir le chiffrage nonobstant cette complexité est ce qui est en train de se faire au Bénin.

Que faire pour surmonter les difficultés et réussir l’exercice ?
L’exercice est déjà en très bonne voie.  Les difficultés sont de plusieurs ordres. La première difficulté est d’abord de pouvoir accepter de travailler de manière intersectorielle et de comprendre que les défis des ODD sont des défis par nature multidimensionnels et multi-acteurs. J’aime bien donner l’exemple de la pauvreté. Tous les ministères dans un pays contribuent à la lutte contre la pauvreté, que les acteurs de ces ministères en soient conscients ou pas. Comparez maintenant une situation, où tout le monde est pleinement conscient et collabore pour atteindre l’objectif à une situation où cette conscience n’est pas très élevée et que chacun travaille dans son coin.
La deuxième difficulté est d’ordre méthodologique ; mais nous sommes venus avec une méthodologie, qui permet de contourner cette difficulté. C’est déjà un acquisLa troisième difficulté, c’est de pouvoir décliner les actions à chiffrer de manière précise et spécifique. Il faut donc tout faire pour ne pas rester sur des mesures d’ordre général et générique, mais se focaliser sur des mesures très spécifiques pour atteindre les ODD, des mesures sur lesquelles on peut mettre un coût.
La quatrième difficulté, c’est justement le chiffrage lui-même à savoir que même si vous avez l’action, il peut s’agir d’une action connue, auquel cas on peut utiliser les coûts unitaires existants. Mais on peut être amené à chiffrer des activités plus complexes qui ne sont pas nécessairement connues. Dans ce cas, il faut se référer aux proxys, des approximations qui consistent à voir si dans d’autres pays, en particulier des pays voisins, une expérience de même nature a été faite, pour pouvoir s’en inspirer et dériver un coût qui serait pertinent pour le Bénin. Il y a également la méthode dite historique, qui consiste à dire, cette chose nous l’avons faite mais il y a longtemps. Il va donc falloir prendre ce coût et l’actualiser en prenant en compte l’évolution de l’inflation. 
 Nous avons également des méthodes dites de planification budgétaire et qui consistent à dire cette chose nous la faisons mais pas forcément dans l’optique d’atteindre les ODD. On va quand même regarder l’allocation budgétaire affectée à cela chaque année et prendre cela comme point de référence pour pouvoir projeter ce dont nous aurions besoin pour atteindre les ODD. Il y a d’autres méthodes telles que la méthode basée sur la modélisation qui, avec des informations assez fines peuvent permettre de projeter les coûts en utilisant un modèle économétrique.
 La plus grosse difficulté et la dernière qui reste, porte sur les données. Comme vous le savez, nous sommes dans des pays où l’appareil statistique est, quelques fois, très faiblement doté. Il n’a pas la capacité de produire toutes les informations statistiques. Et donc ce que nous sommes en train de faire, c’est justement, chaque fois qu’une donnée est manquante, d’essayer de développer une approche qui permet d’avoir une approximation de la donnée que nous cherchons.

Pour plus d’information : mansour.ndiaye@undp.org;

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